Doel #2

« Cette vague qui reflue avec les sou­ve­nirs, la ville s’en imprègne comme une éponge, et grossit ; une des­crip­tion de Zaïre telle qu’elle est aujourd’hui devrait com­prendre tout le passé de Zaïre. mais la ville ne dit pas son passé, elle le possède, pareil aux lignes d’une main, inscrit au coin des rues, dans les grilles des fenêtres, sur les rampes des esca­liers, les para­ton­nerres, les hampes des dra­peaux, sur tout segment marqué à son tour de griffes, den­te­lures, entailles, vir­gules.  — Italo Calvino, Villes invi­sibles (trad. Jean Thibaudeau)

 

Doel #1

Doel

« L’air est plein d’une innom­brable mul­ti­tude de peuples de figure humaine, un peu fiers en appa­rence, mais dociles en effet : grands ama­teurs des sciences, subtils, offi­cieux aux sages, et ennemis des sots et des igno­rants. Leurs femmes et leurs filles sont des beautés mâles, telles qu’on dépeint les Amazones… Sachez que les mers et les fleuves sont habités de même que l’air ; les anciens Sages ont nommé Ondins ou Nymphes cette espèce de peuple… La terre est remplie presque jusqu’au centre de Gnomes, gens de petite stature, gar­diens des trésors, des minières et des pier­re­ries. ceux-ci sont ingé­nieux, amis de l’homme et faciles à com­man­der. Ils four­nissent aux enfants des Sages tous l’argent qui leur est néces­saire et ne demandent guère pour prix de leur service que la gloire d’être com­man­dés. Les Gnomides leurs femmes sont petites, mais fort agréables, et leur costume est fort curieux… Quant aux sala­mandres, habi­tants enflam­més de la région du feu, ils servent aux philosophes. »

Nicolas-Pierre-Henri de Montfaucon de Villars, Le comte de Gabalis ou Entretiens sur les sciences occultes (1670)

 

Schaerbeek #3

Schaerbeek

Le cra­que­ment de la branche morte, le glis­se­ment de la semelle sur la boue prise par le gel. Le pouls de la ville ne par­vient plus jusqu’ici. Seule la lente res­pi­ra­tion du monde.

« Attends-moi, ça glisse ! » Elle semble s’accrocher à son para­pluie. L’escalier fores­tier n’en est pas un. Impératif de l’équilibre.

Rien n’est ce qu’il semble être. Ceux qui l’ignorent évitent ce lieu.

 

Schaerbeek #2

Les voies ferrées sont des bles­sures apai­sées, des cica­trices qui lient la ville à la campagne.

De part et d’autre des lignes d’acier s’étale un monde délaissé par les hommes et recon­quis par une nature hési­tante. Zones maré­ca­geuses, entou­rées d’herbes dures et d’arbres noirs, ron­geurs furtifs, batra­ciens inquiets, nids délaissés.

Nous sommes dans un paysage que des mil­liers de per­sonnes ignorent chaque jour, depuis le confort relatif de leur voiture de chemin de fer. Nous sommes dans un blanc sur la carte, et au-dessus de nos têtes un groupe de ramiers s’envole bruyam­ment, faisant claquer leurs ailes comme des voiles.

 

Japan

Schaerbeek #1

Une échelle d’aluminium, quelques pas mal assurés, une trappe à manœu­vrer et nous passons outre la fron­tière interdite.

Nous retrou­vons le ciel. Le toit est encom­bré de buses, de reliefs dont nous n’identifions pas la fonc­tion, d’autres trappes, condam­nées. Le bord non sécu­risé nous rap­pelle notre fini­tude et notre magni­fi­cence. La ville est en-dessous, bruisse et nous ignore.

Nous sommes Marc-Aurèle et nous mar­chons sur notre mon­tagne. Le vent nous gonfle de vie.

 

Mer du Nord

Faire du cuistax sur la digue d’Ostende, dépas­ser le casino, les thermes et filer vers la France. Longer la mer sur la droite, laisser les gens sur la gauche.

À gauche, les gens mangent, marchent et parlent. Ils pro­mènent leur chien, leurs enfants ou leur vie. À droite, la mer roule tran­quille­ment sa molle marée. Et nous, au milieu de tout ça, nous péda­lons vers la Côte d’Opale, la Bretagne, l’Aquitaine.

Dans le ciel, des mouettes géo­sta­tion­naires, face au vent, ignorent qu’elles illus­trent un para­graphe fameux de Lewis Carroll.

Quitter

Les déci­sions que l’on prend n’ont de sens que si elles ont un prix, et le prix des départs est celui des sou­ve­nirs. Accepter le moment tel qu’il est, sans l’interpréter, sans l’atténuer ni le magni­fier. L’oubli est un sou­ve­rain capri­cieux et cha­ri­table.

Chaque déci­sion est un départ, chaque oubli une allégresse.

Nil