Napoli

Le chemin qui me mène de Bruxelles à Naples passe néces­sai­re­ment par une zone de l’aéroport qui ser­pente entre des mil­liers de flacons d’alcools et de parfums. Il ne s’agit pas là de bou­tiques bordant un couloir d’accès, mais bien d’un accès passant par un centre marchand.

Ce passage signe la dis­pa­ri­tion, dis­crète, du vide. Dans les gares, les aéro­ports, se per­daient les pas. La « salle des pas perdus » était le lieu des rendez-vous conve­nus ou inopi­nés. Les pas perdus sont désor­mais captés, car les marques enva­hissent ces espaces publics, ces lieux de flâ­ne­rie. Les écrans publi­ci­taires ont bour­geonné en officines.

Un autre conqué­rant, publique, fait siens les espaces de badau­dage. Il est la consé­quence d’une poignée de morts pro­vo­quées par un sen­ti­ment d’a-signifiance auquel répon­dit un désir de puis­sance, indi­vi­duel ou cana­lisé. Une explo­sion reten­tit, déchi­rant les chairs, brisant les os, occu­pant les médias. Et l’armée vint dans les villes. Inutile bien sûr. Familière désor­mais. À Paris, à Bruxelles, à Naples. Porteurs d’une douce jéru­sa­lé­mi­sa­tion du monde, s’affichent omni­pré­sents les sym­boles d’une pro­tec­tion, qui sont aussi la marque d’une menace non dite.

Les grandes enseignes et les mili­taires désor­mais se par­tagent ces zones de res­pi­ra­tion et d’attente, avec le même objec­tif d’orienter nos affects vers ce qui devient l’essence de notre com­mu­nauté imper­son­nelle : offrir nos espaces mentaux aux grandes marques com­mer­ciales et idéo­lo­giques, les col­por­ter, les dis­sé­mi­ner, les perpétuer.