Shirakawago

Japan

Dans le village de Shirakawago, rien ne cherche à briller et toute quête de raf­fi­ne­ment serait obscène.

La tasse sur la table est ter­reuse. Sa texture mêle volutes et concré­tions. Ce sont les lentes épou­sailles d’un gris de plomb avec un brun crayeux qui, par endroits, accueillent quelques vagues traces ocre. Le thé que l’on y verse rap­pelle la vieille paille par sa couleur mais son odeur est celle de l’herbe après un orage d’été.

Quel est le lien entre ce bol et le por­tique froid de la rame de métro tokyoïte ? Répondre à cette ques­tion est com­prendre le Japon.

 

Tokyo #7

Japan

Nulle part la mathé­ma­ti­sa­tion de l’humain n’apparaît plus clai­re­ment qu’ici.

Nous nous rêvons si dif­fé­rents. Nous le sommes si peu. Dans la popu­la­tion humaine, quelle que soit la variable consi­dé­rée, l’écart-type est infime.

Tokyo #6

Japan

À Tokyo la nuit tombe pas, elle se lève.

De plus en plus de lumières s’allument à hauteur d’yeux. Un ensemble de lignes, lettres et sym­boles de diverses cou­leurs éclosent par mil­liers, cen­taines de mil­liers, sai­gnant toute pénombre. Seul le large Sumidagawa nous renvoie le ciel obscur après en avoir gommé les étoiles.

À Tokyo, la nuit se lève, lumi­neuse, dure et majes­tueuse, comme une armée dressée, en attente, sur un rivage.

À Tokyo, la Lune ignore la des­ti­née les hommes.

Tokyo #5

Japan

Intérieur et exté­rieur consti­tuent l’un des grands prismes japo­nais. Ce qui est inté­rieur est ce qui est clos, peu impor­tant qu’un toit le recouvre. Et l’espace inté­rieur est une recherche d’équilibre où chaque élément doit trouver sa place exquise, fonc­tion­nel­le­ment et esthétiquement.

L’espace exté­rieur en revanche est tressé de câbles, jonché de pots de fleurs dis­pa­rates et de bou­teilles d’eau en plas­tique, encom­bré d’enseignes et d’immeubles qu’aucun plan d’urbanisme ne semble chorégraphier.

Entrer dans une chambre ou un jardin, c’est entrer en soi. Sortir dans la rue, c’est convo­quer l’attention et l’éveil au monde.

Tokyo #4

Japan

Les jeunes Tokyoïtes kawaaï et gothiques ont grandi.

Dans leurs garde-robes, elles ont rem­placé les réfé­rences manga par un dress code de salary women ou de pretty woman. Elles montrent tou­jours leurs jambes et conti­nuent d’ouvrir grands leurs yeux noirs mais elles ne sont plus à rire en se racon­tant des bêtises dans le métro ; elles sont main­te­nant office ladies chez Toyota où le rôle consiste à servir le café, trier les archives et doper le taux de tes­to­sté­rone des déci­deurs vieillis­sants et de leurs hordes de jeunes loups.

Avec un peu de chance, elles y trou­ve­ront le mari qui leur épar­gnera la honte du célibat et leur fera 2-3 gosses. À ce moment, de toutes façons, elles arrê­te­ront de tra­vailler afin de pouvoir expli­quer à leur des­cen­dance mâle et femelle comment la société fonctionne.

Alors moi, dans la station de métro, je regarde leurs longues jambes, leurs hauts talons, leurs grands yeux noirs et je réponds d’un sourire à la petite fille qui me sourit.

 

Kyoto #1

Japan

Trancher, piquer et enfi­cher sont autant de meur­tris­sures qui doivent être évitées et, quand elles ne le peuvent, confiées à des offices dis­crets et retirés.

Aucun clou dans les char­pentes com­plexes des temples kyo­toïtes, aucun couteau, aucune four­chettes sur les tables.

L’assemblage est une maîtrise.

 

Tokyo #4

JapanEn Occident, notre corps est sacré et tabou. Nos vête­ments pro­tègent notre pudeur. La nudité n’est que dans l’intime ou dans l’obscène.

Ici, au Japon, l’esprit per­son­nel est sacré et tabou. Alors que la nudité est visible dans tous les bains publics et que l’érotisme est celui du jeu des étoffes, l’impudeur est de dire ses sentiments.

 

Shinkansen

Japan

Je suis désor­mais l’étranger, celui que l’on veut aider ou éviter, celui à côté duquel se trouve la seule place vide du com­par­ti­ment, celui qui a le faciès alloch­tone et la mise singulière.

Je suis aussi l’Occidental que cer­tains regards fémi­nins jaugent fur­ti­ve­ment. Je suis l’imbécile qui reste cinq minutes devant la carte du métro ou qui rebrousse chemin au milieu du couloir.

Je suis l’étranger de Camus, Ulysse en Phéacie, Dante laissé par Virgile, Un Idiot à Paris.

 

Tokyo #3

Japan

À Tokyo, les sans-abris ne men­dient pas, et rangent leurs affaires une fois réveillés.

 

Tokyo #2

Japan

Lignes, figures géo­mé­triques, hira­gana, kata­kana, kanji, romanji, chiffres et logos consti­tuent une galaxie séman­tique que je ne com­prends pas. Qu’indique, pour une langue, la néces­sité d’utiliser tant de sys­tèmes symboliques ?

 

富士山

Japan

Au loin, Fujisan.

Il impor­tait de faire 9.500 km pour s’en appro­cher. Il importe main­te­nant de ne pas faire les der­niers kilo­mètres restant. Pour ne pas voir les tou­ristes, les détri­tus, la réalité qui entache nos rêves. La recherche de la dis­tance opti­male, de la posture déli­cieuse. Ne pas se rap­pro­cher sys­té­ma­ti­que­ment de ce que l’on aime. Encore moins s’y atta­cher. L’harmonie est un équi­libre. La paix est une harmonie.

Maintenant, dans le train qui m’emmène à Kawaguchi-ko, le grand volcan sort de mon champ visuel.

 

Tokyo #1

Japan

Le mou­ve­ment est notre seul pouvoir.

Nous pouvons prendre telle direc­tion qui nous rap­proche de choses et de gens et nous éloigne d’autres. Ce faisant, nous nous sen­ti­rons plus ou moins bien que dans notre posi­tion d’avant. Cette sen­sa­tion, et notre mémoire et nos rai­son­ne­ments nous pous­se­ront à ren­for­cer ou à inflé­chir notre tra­jec­toire. Bien sûr, autour de nous, les choses et les gens changent aussi, parfois mus par une dyna­mique sem­blable à la nôtre. Et en nous évo­luent notre per­cep­tion et nos attentes. Ces chan­ge­ments conti­nus, aux­quels nous par­ti­ci­pons, forment un système com­plexe et dyna­mique à la manière de ces mil­liards de gout­te­lettes de conden­sa­tion que nous voyons comme un nuage dont on se sait, l’instant d’après retrou­ver l’image.

Le mou­ve­ment est notre seul et insi­gni­fiant pouvoir.

 

Aéroport

Japan

La condi­tion bétaillère de l’humain appa­raît sans fards dans les aéro­ports. Ici, à Charles de Gaule, le bétail se regroupe en trou­peaux dont le car­di­nal est déter­miné par la taille de l’avion. Chaque indi­vidu est tracé de mul­tiples façons pour la sécu­rité de l’ensemble mais aussi pour la sécu­rité du système et pour l’optimisation du pro­ces­sus. Tout cela est financé par chaque indi­vidu qui dépense en outre dans les mul­tiples bou­tiques en échange de quelque agré­ment d’attente. L’intelligence n’est pas mise en cause mais bien la faculté de conce­voir des actions qui n’ont pas été déjà ima­gi­nées par l’un ou l’autre pouvoir.

L’idée de consen­te­ment est ici maxi­male puisque celui-ci s’est fait en amont, lors de la déci­sion de partir. Les mesures de sécu­rité ras­surent et la dépense finan­cière gra­ti­fie. Mais pour­quoi partons-nous ? Pourquoi asso­cier l’idée de voyage à celui d’agrément ? Quels sont les sémi­naires qui ne pour­raient se tenir à dis­tance ? D’où viennent ces idées qui poussent quo­ti­dien­ne­ment tant d’humains à sillon­ner le ciel ?

Une porte s’ouvre. Rien n’est plus étrange alors de se retrou­ver dans un couloir désert qu’aucune signa­lé­tique ne désigne encore à la foule qui conti­nue de s’engouffrer dans le passage parallèle.