L’utilisation des guille­mets est, en fran­çais, source de nom­breux mal­en­ten­dus : confu­sion entre guille­mets fran­çais et anglais ; dif­fi­cul­tés d’évaluer la per­ti­nence de leur uti­li­sa­tion ; mécon­nais­sance des règles d’usage des espaces de proxi­mité et j’en passe de plus croquignolettes.

Bref, c’est le genre de chose que l’on n’apprend pas à l’école et dont on se dit avec raison que son igno­rance ne nous empê­chera pas d’atteindre le bonheur.

Ce n’est donc pas sur la voie du bonheur que ce petit billet devrait vous mener, mais sur celle, plus escar­pée, de la per­fec­tion. Ce qui n’est pas mal non plus. En prime, l’usage d’une typo­gra­phie cor­recte a des avan­tages épatants :

  • Renforcement des habi­tudes (et dès lors plus grande flui­dité) de lecture et d’écriture ;
  • Cohérence des textes et sim­pli­fi­ca­tion des pro­ces­sus d’édition ;
  • Atténuation des situa­tions confuses ;
  • Adoption d’une esthé­tique typo­gra­phique conçue dans le respect des règles.

1. Les acteurs en présence

  • Les guille­mets fran­çais (ou typo­gra­phiques) sont comme « ceci ».
    [guille­met gauche Unicode U+00AB ;
    guille­met droit Unicode U+00BB]
  • Les guille­mets anglais sont comme “ceci”.
    [guillemet-apostrophe double culbuté Unicode U+201C ;
    guillemet-apostrophe double Unicode U+201D]
  • Les guille­mets alle­mands sont comme „ceci“.
    [guillemet-virgule double infé­rieur Unicode U+201E ;
    guillemet-apostrophe double Unicode U+201D]
  • Les guille­mets droits (ou dac­ty­lo­gra­phiques) sont comme « ceci ».
    [guille dactylo ou guille­met droit Unicode U+0022]

2. Que veulent dire les guillemets ?

Les guille­mets marquent une dis­tance de l’auteur vis-à-vis des élé­ments entre guille­mets. Il peut s’agir d’une cita­tion, d’une réserve, d’une erreur ou d’un juge­ment avec lequel l’auteur veut marquer sa divergence.

Le cas des cita­tions peut se révéler extrê­me­ment com­plexe lorsqu’elles com­portent plu­sieurs alinéas et/ou des dia­logues. Je ne consi­dè­re­rai ici que les cas simples.

3. Oublier les guillemets droits et allemands.

Simplifions le pro­blème : on peut oublier les guille­mets droits. Il s’agit d’une inven­tion spé­ci­fique aux machines à écrire et rendue obso­lète par l’informatique moderne. Ils peuvent servir à dési­gner des minutes, des secondes ou des pouces, mais plus jamais faire office de guille­mets, excepté en programmation.

Quant aux guille­mets alle­mands, ils ne sont jamais uti­li­sés en français.

4. Guillemets français ou anglais ?

Toujours des guille­mets fran­çais sauf en cas d’imbrication. Il est alors recom­mandé d’utiliser les guille­mets anglais en second rang.

« Je m’en sou­viens bien, dit-elle, c’était écrit : “Peinture fraîche”. »

En troi­sième rang, l’usage de l’italique est toléré quoique les guille­mets fran­çais puissent réapparaître.

« Je m’en sou­viens bien, dit-elle, c’était écrit : “Peinture frêche”. »

Alors que les guille­mets anglais génèrent de nom­breuses col­li­sions mal­heu­reuses (L’“intelligentsia”), les guille­mets fran­çais s’articulent dans le texte avec plus de flui­dité puisqu’occupant l’espace d’un carac­tère à part entière. Ils pro­voquent aussi moins de rup­tures dans le gris typographique.

5. Guillemets ou italique ?

Ici encore, les guille­mets fran­çais sont la règle. Hormis la cita­tion de 3e rang où son usage est toléré, l’italique doit être utilisé dans deux cas :

  • La cita­tion en langues étran­gères : « My God ! » s’écria-t-elle.
  • La déno­ta­tion (par oppo­si­tion à la conno­ta­tion marquée par les guille­mets) : Le mot déno­ta­tion n’est pas facile à définir.

6. Et les titres d’oeuvres ?

Ici, l’italique est la règle. Les guille­mets ne sont auto­ri­sés que lorsque l’italique est impra­ti­cable : écri­ture manus­crite ou dac­ty­lo­gra­phique par exemple, ainsi que les emails en texte pur.

7. Quelles espaces utiliser ?

Une espace insé­cable doit tou­jours être placée à l’intérieur du guille­met fran­çais, et une espace sécable à l’extérieur. La nature de cette espace est tou­te­fois sujette à contro­verse et varie de plus dans la fran­co­pho­nie : les usages fran­çais, cana­diens et suisses divergent… les Suisses allant jusqu’à pros­crire les espaces internes !

L’espace insé­cable Unicode étant plus large que l’espace normale, je suggère l’utilisation d’une espace fine insé­cable dis­po­nible en Unicode [U+202F]… tout en étant conscient de la dif­fi­culté de parfois l’implémenter : la typo­gra­phie de ce billet le démontre.

Aucune espace interne n’accompagne en revanche les guille­mets anglais.

8. Le point final vient-il avant ou après le guillemet final ?

Les guille­mets encadrent tous les élé­ments avec les­quels la dis­tance est prise, y compris les signes de ponc­tua­tion. (« Oh ! Tu as vu ? » me dit-elle.)

Toutefois, lorsqu’une cita­tion termine une phrase et est elle-même une phrase com­plète, il y a assi­mi­la­tion de la ponc­tua­tion de la phrase par celle de la cita­tion et la phrase se termine par un guille­met. (Elle me dit sim­ple­ment : « Je t’aime. »)

Lorsque la cita­tion est un enchaî­ne­ment de la phrase prin­ci­pale, c’est la ponc­tua­tion prin­ci­pale qui absorbe celle de la cita­tion. (Elle me dit que « son amour est infini ».)

Enfin, lorsque les ponc­tua­tions de la cita­tion et de la phrase prin­ci­pale divergent, toutes deux sont conser­vées. (Elle eut le culot de me deman­der : « Tu ne m’en veux pas ? » !)

9. Transgresser

Eh bien oui, la typo­gra­phie actuelle sort des cadres établis, entre­tient des rap­ports de plus en plus intimes avec les autres élé­ments de la page : illus­tra­tions, mise en page… Tout est pos­sible à qui possède assez de talent et de métier. La bar­rière est ouverte, sortons du jardin.

Mais ne confon­dons pas trans­gres­sion et ignorance !

Sources

Le Bon Usage
Oeuvrez les guillemets
Orthotypographie
Wikipedia

Alain Van Kerckhoven