« Les loco­mo­tives à vapeur appa­raissent quand c’est le temps des loco­mo­tives à vapeur. » écri­vait Charles Fort, amateur d’étrange et scribe des miracles. Il ne suffit pas à l’enregistrement magné­tique d’être décou­vert pour être utilisé. Il fallut que le monde soit prêt à l’accueillir. Cette his­toire pas­sion­nante est relatée dans Magnetic Recording : The first 100 Years (E. Daniel, C. Mee, M. Clark ; IEEE Press, 1998).

Le télé­gra­phone a été inventé en 1898 par l’ingénieur danois Valdemar Poulsen. Il s’agissait d’une corde de piano sur laquelle était traîné un électro-aimant relié à un micro­phone. Cette corde de piano ini­tiale, portant quelques mots de la voix de son inven­teur, a disparu.

Le nom de Thomas Edison est aujourd’hui plus célèbre que celui de Poulsen. Il est vrai que le pho­no­graphe fut inventé vingt ans aupa­ra­vant. En revanche, l’enregistrement méca­nique a aujourd’hui disparu et la quasi-totalité des données infor­ma­tiques, musiques, vidéos, et autres enre­gis­tre­ments se réalise sur sup­ports magné­tiques, enfants de la corde de piano de Poulsen, et non des cylindres en cire d’Edison.

Poulsen per­fec­tionne son inven­tion dès la pre­mière année, notam­ment en enrou­lant le câble autour d’un cylindre, ce qui la rend trans­por­table. Il connaît des succès de foule et d’estime mais les indus­triels sont pour le moins réser­vés. Poulsen commet pro­ba­ble­ment une erreur en pré­sen­tant son inven­tion comme apte à enre­gis­trer les conver­sa­tions télé­pho­niques. La société AT&T prévoit que de telles pos­si­bi­li­tés sont de natures à inquié­ter ses clients.

Cette asso­cia­tion d’idée entre l’enregistrement magné­tique et les indis­cré­tions (asso­cia­tion à laquelle a échappé l’enregistrement méca­nique) va pour­tant per­mettre au télé­gra­phone de sur­vivre. À l’aube de 14-18 (vingt ans ont passé), l’armée alle­mande (via une filiale amé­ri­caine de Telefunken et à l’insu de son inven­teur) com­mande quelques appa­reils qui ser­vi­ront à des fins d’espionnage. L’armée amé­ri­caine découvre le pot-aux-roses et s’emploiera dès lors à sur­veiller de près les recherches dans le domaine de l’enregistrement magnétique.

En revanche, l’Allemagne a pu pro­fi­ter de la pre­mière tech­no­lo­gie de l’enregistrement magné­tique et pousse les recherches en ce domaine. L’étape ulté­rieure est réa­li­sée par Fritz Pfleumer, chi­miste autri­chien, en 1928… 30 ans après la corde de piano, il a l’idée de recou­vrir des bandes de par­ti­cules magné­tiques, tandis que Kurt Stille réussit à amé­lio­rer le télé­gra­pho­phone. Il est désor­mais pos­sible d’enregistrer 30 minutes de musique sur un cylindre de 20 centimètres.

La BBC, dès sa créa­tion en 1931, uti­li­sera ce procédé pour stocker les dis­cours les plus impor­tants. Probablement est-ce cette adop­tion qui consa­crera l’enregistrement magné­tique comme tech­no­lo­gie d’avenir. En effet, tout va désor­mais s’enchaîner très vite. L’histoire de l’enregistrement magné­tique va s’entrelacer avec l’histoire des hommes de façon de plus en plus intime jusqu’à en inflé­chir épi­so­di­que­ment le cours.

La gestapo enre­gis­trera ses inter­ro­ga­toires, les cas­settes audio per­met­tront à tout un chacun d’enregistrer aussi faci­le­ment que l’on fait une photo de vacances, des bandes magné­tiques feront tomber un pré­sident amé­ri­cain, des lois règle­men­te­ront le sto­ckage des données et, aujourd’hui, les sup­ports magné­tiques contiennent plus d’information que tout autre, malgré la concur­rence encore timide du sto­ckage optique.

L’on en vient à penser que le cerveau humain est aussi un support magné­tique et qu’il est regret­table que ce dernier ne puisse pas com­mu­ni­quer de façon plus directe avec ses petits frères à base de ferrite ou de sili­cium… « Ce qui ne fut pas sera, pré­vient Haldane, et il pour­suit : Et per­sonne n’est à l’abri. »

Alain Van Kerckhoven