À côté des émo­tions indi­vi­duelles existent des émo­tions com­plexes mode­lées par nos inter­ac­tions sociales. L’évolution de ces der­nières pour­rait ouvrir la voie à une nou­velle dis­ci­pline : l’archéologie émotionnelle.

Au cata­logue des émo­tions dis­pa­rues figure la Ferrea Voluptas (volupté de fer) de Pétrarque, qui dis­pa­rut sans doute avec le latin. La per­ver­sion d’aujourd’hui se teinte d’aspects moraux, éthiques et médico-légaux. La Ferrea volup­tas est tout aussi dure, mais moins pesante et plus libre.

Autre absente, l’acédie était tel­le­ment répan­due au VIe siècle que l’Église envi­sa­gea d’en faire le hui­tième péché capital. C’était une démo­ti­va­tion spi­ri­tuelle, un sen­ti­ment d’« à quoi bon » lié à l’objet reli­gieux, un estom­pe­ment de la foi, un relâ­che­ment de la ferveur. Certains psy­cho­logues contem­po­rains la remettent au goût du jour, mais dans une accep­tion beau­coup plus large : l’acédie du chômeur par exemple.

J’ai un faible par­ti­cu­lier pour la dubi­ta­tion : le plaisir subtil d’échapper à la réponse directe, de faire durer la douce tension née du questionnement.

Certaines émo­tions sont-elles actuel­le­ment mena­cées d’extinction ? J’éprouve quelque crainte pour le scru­pule (petite pierre pointue dans le cerveau, selon les Latins) ou la magna­ni­mité.

Je me sou­viens aussi du ter­rible et puis­sant sen­ti­ment d’egré­gore, fusion­nant les res­sen­tis indi­vi­duels en une énergie de groupe. Lui, c’est autre chose, il semble tel­le­ment présent lors de cer­tains ras­sem­ble­ments poli­tiques, spor­tifs, évan­gé­liques ou encore de télé-réalité que seul le mot qui le désigne tombe dans l’oubli.

Alain Van Kerckhoven