Textes musicaux
Ces textes ne sont pas des poèmes autonomes : ils sont chacun partie intégrante d’une œuvre musicale. Ils sont présentés ici à seule fin d’aider l’auditeur soucieux de mieux écouter cette œuvre.
ANAMNÈSE
© Éditions Delatour, Sampzon 2000
Quelque chose
pousse
contre la porte
Je l’ai entendu
Une présence
ou une absence
Je l’ai entendu
Une nuit,
un brouillard
Je l’ai entendu
Le brouillard
Le brouillard
Ou bien la nuit.
Chelmno, Belzec, Auschwitz, Birkenau, Sobibor, Treblinka, Chelmno, Sobibor
Mmh_
Treblinka, Auschwitz, Birkenau, Sobibor, Treblinka, Belzec, Sobibor
Arbeit macht frei.
Rien n’existe
Rien ne survivra
Nulle trace
ne transparaît
Du mur gardien
des âges noirs.
Nacht und Nebel
Les chiens, la rampe
Oh ! Mon père
Pourquoi ?
Comment ?
Dites, mon père, racontez
La terre froide
sous les cendres
Mon père, racontez,
Les poupées si légères
Oh ! Mon père.
Quelque chose bouge
Derrière les choses
Je l’ai entendu
Quelque chose de vivant
Je l’ai entendu
Une forme un souffle froid
Je l’ai entendu
Quelque chose
derrière le mur
Je l’ai entendu
Des crissements
Des grattements
Je l’ai entendu
Quelque chose
Quelque chose
Je l’ai entendu
Quelque chose
derrière le mur
Je l’ai entendu.
Une nuit,
un brouillard
Je l’ai entendu
Une nuit,
un brouillard
Je l’ai entendu
Je l’ai entendu
Ou bien la nuit.
Chelmno, Belzec, Auschwitz, Birkenau, Sobibor, Treblinka, Chelmno, Sobibor
Mmh_
Chelmno, Belzec, Auschwitz, Birkenau, Sobibor, Chelmno, Belzec
Arbeit macht frei.
Rien n’existe
Rien ne survivra
Nulle trace
ne transparaît
Du mur noir
des âges perdus.
Nacht und Nebel
La suie, la neige
Le silence froid
Dites, mon père, racontez
la terre froide
sous les cendres
Mon père, racontez,
Les poupées si légères
Oh ! Mon père.
Quelque chose bouge
Derrière les choses
Je l’ai entendu
Quelque chose de vivant
Je l’ai entendu
Une forme,
un souffle froid
Je l’ai entendu
Quelque chose
derrière le mur
Je l’ai entendu
Des crissements
Des grattements
Je l’ai entendu
Une nuit,
un brouillard
Je l’ai entendu
Une nuit,
un brouillard
Je l’ai entendu.
Ou bien la nuit.
Chelmno, Belzec, Auschwitz, Birkenau, Sobibor
Mmh_
Chelmno, Treblinka, Sobibor
Arbeit macht frei.
Ce n’est pas moi
qui vit ceci
Je suis l’outil
d’un âge cruel
D’un monde perdu
Je ne suis rien.
Douce nuit
Treblinka, Chelmno, Belzec, Auschwitz
Mon père
Oh ! Mon père
Mon père.
Le désir
d’exister
Par delà
la mémoire
Le désir
d’oublier
la nuit et
le brouillard
La mort.
Chelmno, Belzec, Auschwitz, Birkenau, Sobibor
Chelmno, Treblinka, Sobibor
Arbeit macht frei.
Rien
ni
Personne.
Nacht und Nebel
La neige épaisse
La nuit si claire
Plus rien ne bouge
Plus rien ne crie.
BÉRYLLIUM
© Klarthé, Vernouillet 2020
1. Magma : calcination
[Son père est le soleil.]
D’abord il y a la croûte,
silicates divers
de cristal et de verre,
où je trace ma route.
Réseaux serrés et froids
de feldspath, de mica,
parfaitement réguliers
au quartz incorporés.
Dessous couve le feu
qui attise mes sens.
Je vous en fais l’aveu :
mon désir est intense.
Et rien ne se devine
en ma marche sereine
de ces courants intimes
qui parcourent mes veines.
Et je feins d’ignorer,
chantant là, devant vous,
et je feins d’ignorer
que ce feu est si doux.
2. Soif : dissolution
[Sa mère est la lune.]
Une eau froide et si claire,
une eau presque de glace
échine les cimes en leur canopée tendre
Et, de nervures salines
en pétioles cireuses
roule de moins en moins claire,
devenant opaline
S’en va gorger le sol
où de discrets pertuis et de roides racines
s’en partagent les flux
en de secrets négoces.
Parfois gronde le ciel
déchargeant ses tensions
ravinant la forêt,
débordant les ruisseaux.
À cette eau seulement
j’étancherai ma soif.
3. Tramontane : séparation
[Le vent l’a porté en son ventre.]
Le vent me porta comme on porte le glaive
et il me posa là, au milieu de la lande.
Je repense au Soleil, à ces amours de plomb
à ces corps passionnés par mon corps attirés.
Je repense à la Lune, à ces amours d’étain
à mon corps épuisé par ces corps tant aimés.
Je suis seule sur la lande où respire le monde
Je suis seule sur la lande, désarmée et féconde.
4. Petrichor : conjonction
[Sa nourrice est la Terre.]
À vous qui m’attendiez,
je ne puis que me rendre,
ondoyer, être tendre,
me laisser pénétrer.
Vous m’aviez dit ce mot,
sur la terre mouillée
que laboura mon corps
par vos assauts broyé.
Ma robe déchirée,
mes seins endoloris
la campagne brisée
par vos râles, par mes cris.
Vous m’aviez dit ce mot
avant de tomber mort.
Vous m’aviez dit ce mot
à l’oreille : petrichor.
5. Mort de l’Enfant Royal : putréfaction
[Sépare la Terre du Feu, le subtil de l’épais, doucement, avec grande industrie.]
C’est ta chair,
désormais,
qui quittera tes os.
Et l’aile qui
se posera
sera celle du corbeau.
6. La Dame à la licorne : distillation
[Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre, & il reçoit la force des choses supérieures et inférieures.]
Et je vins à toi, nue
et mes lèvres gercées
et ton regard si las
et mes gestes si doux,
Et mon corps vint au tien
et ton âme à la mienne.
Je t’appris à danser,
à ne pas t’attacher,
je t’appris à baiser.
Tu m’appris à aimer.
7. Le Cœur du monde
[Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde ; et pour cela toute obscurité s’enfuira de toi.]
Au cœur du monde
palpite un animal
qui ne naîtra jamais
ni jamais ne mourra.
Hannut, 5 octobre – Bruxelles, 30 décembre 2018 pour Y.
EL NIÑO DE ATOCHA
© Delatour, Sampzon 2011
Tengo miedo de la tarde
Tengo miedo de la noche
Tengo miedo de las sombras
Tengo miedo de dormir
Pero no importa El Niño de Atocha
Y yo camino por las calles de la ciudad, del pais y del llano
Y no me importa El Niño de Atocha
Asi yo camino por las calles de la ciudad
Y no me importa El Niño de Atocha.
LA COMPLAINTE DES ESCLAVES
© Delatour, Sampzon 2010
Boum et bang et beng et bing bong boum (onomatopées ad libitum)
Ah…!?
Vous êtes un peu fâché
On vous comprend très bien
Gardez votre sang-froid
On fait vraiment c’qu’on peut
Okay c’est pas fameux
On fait vraiment c’qu’on peut
On a pourtant bossé
Bon d’accord pas assez
Mais c’est votre faute aussi
Nous on préfère Mozart
C’est Mozart qu’on préfère
Ou Jean-Sébastien Bach
Ou encore Telemann ou alors Purcell ou bien Monteverdi
Mais du contemporain
Oh non vraiment,
Vraiment on n’en peut plus !
LA FILLE DU ROI D’ÉCOSSE
© Klarthé, Vernouillet 2018
La fille du Roi d’Écosse
marche seule sur la lande
Semble-t-il étrangère
au fait que je la suis.
La fille du Roi d’Écosse
marche seule sur la lande.
Ses pas sont réguliers
couchant les hautes herbes
l’éloignant de ses terres,
la menant vers la mer.
Plus loin un grondement,
celui que fait l’orage
qui s’échine à crever
l’un de ces lourds nuages.
Là ! mon cœur s’engourdit
et mon pas s’ankylose
et mon songe pâlit
et s’estompe la rose.
La fille du Roi d’Écosse
marche seule sur la lande
Semble-t-il étrangère
à ce monde qui se meurt.
Et le ciel se déchire
et crache un sang glacé
comme pour la ralentir
comme si moi je pleurais
Mais elle ne faiblit point
Et mes yeux restent secs
Et la lande se ravine
sous ses chausses de cuir.
La fille du Roi d’Écosse
marche seule sur la lande.
Et au cœur de la nuit
hennit une jument
et tout se fait silence
et je ne la vois plus.
Isle of Skye, le 22 mai 2016, pour L.
LES CHANTS DE CASANOVA
© Delatour, Sampzon 2009
[disponibles prochainement]
THREE HARD PROBLEMS
© Éditions Delatour, Sampzon 2013
The Problem with Words
The dog of my childhood, his tender and brown glance,
My dad crying on a street curb, tired of looking for his car.
There’s a bird on my terrace
There’s a window between us
And he’s looking at me, writing this
And I’m looking at him while writing this.
And you’ll never know, by hearing this
What he looked like
nor how he died.
The Problem with Hope
Young girl in her bathroom,
dreaming – or not –
of cheap narratives :
promises of eternity
gluten-free cupcakes
the easiness of a pair of Louboutin easy
thin awaiting crust on industrial crème brûlée in Paris, France
uninterested kindness of old men
tainted kisses, tainted words, tainted nights
two laughing children running toward her, in the grass, in the sun, in a never-to-occur future.
I saw a soldier this morning, I thought he was sleeping in the warm guts of his horse. The sergeant, he told me : they’ve been like this since yesterday. Winter guards them. And the snow will come, and will gently cover them both, until spring.
This guy in the bar looks at the barmaid, feeling like an old dirty man, staring at her boobs through the thin fabric of the white tee-shirt. He drinks his beer, requests another one. Other men are talking of un-emotional stuff : environmental activists, urban traffic, the boobs of the barmaid. (Aïda is her name.)
Old-aged man in a canape
unloved, unkissed, untouched, untalken,
populating his mind to experience something like an emotion
while drinking some discounted blended whisky
in front of his tv screen :
young and firm and tanned bodies lazing on the edge of a pool,
guys in suits talking about kids dying of diarrhea in South-Sudan,
tacos that stay crispy in the microwave.
People correctly see the world, says the sergeant, they are just blind to themselves.
The Problem with Love
« The PC fan makes bad noises » said Jenny.
I was drinking some Bowmore, smelling its smoky, chocolate and vanilla scents,
tasting the spicy peat and the salt, dancing together slowly, so slowly,
welcoming fake but strong images of Islay
forgetting my crappy job, ordinary disgraces, naive children dreams,
forgetting – for a moment – the crab eating my liver, the dishwasher to be changed,
Jenny.
« The PC fan makes bad noises, said Jenny, and you just don’t care. »
Yeah, I just don’t care, and that’s not so easy, not to care : you need things like Black pearl, Bowmore 15 years or happiness. I stopped Black pearl when I met Jenny. I’m on single malt now, but this requires silence, and a good sofa. I have the sofa.
The color of the malt evokes dark honey, caramel or Sienna. Its oily, viscous texture creates in my glass a gathered edge from which a few thick tears flow down slowly, so slowly.
Jenny’s working behind me at her thesis on that old PC, while snacking on a few slices of beef jerky. You must see her : she’s beautiful.
Why the hell is she spending her time in my room ?
Why don’t I take her in my arms ?
Why don’t I kick her out ?
« The PC fan makes bad noises, said Jenny, and I love you. »
Bruxelles, octobre 2019
THREE PHILOSOPHERS SONGS
© Éditions Delatour, Sampzon 2013
Certains symboles ont traversé les civilisations et les âges, utilisant comme véhicules des mythes qui se perpétuent de mille façons : récits religieux, chansons populaires ou décors de cathédrales par exemple. Les plus forts de ces symboles ont nourri (et été nourris par) une discipline initiatique à la fois spéculative et opérative : l’alchimie. Three Philosophers Songs – que l’on peut traduire par Trois Mélodies philosophales – évoquent trois de ces mythes occidentaux sous un éclairage philosophal. The Fruits of the Earth se réfère à l’étrange histoire de Caïn et Abel ; Roots and Thorns évoque de multiples destins de l’acacia ; The Salt of the Earth revisite la très alchimique légende de saint Nicolas.
The Fruits of the Earth
I was working the land, digging, sowing, irrigating, pruning. I was harvesting.
I was all my life the patient choreographer of the soil, the sun and the water around each seed, each day of the year, from the closing of the night to the rising of the night.
But my Father expected fat and blood.
So I killed my brother. I imbrued the plain.
My Father is angry but I know I am right. [vers. 1]
My Father was angry but I am his son and I know I’m right [vers. 2]
And a son of my son will deeply dig the land and bring to the day the new fruits of the earth.
And bring to the sun, and the gold, and the silver.
Roots and Thorns
I was the most isolated of trees on Earth, the only one for hundreds and hundreds of miles, the old prince of a waste land.
I was a landmark, a crown, an ark.
My roots in the sand, my thorns in the sun.
I was a landmark, a crown, an ark.
My branches in their hands, my thorns in His flesh.
I was a landmark, a crown, an ark.
My trunk in the gold, my thorns in the blood.
The Salt of the Earth
The fields had been plowed ; the sun had been burning.
My brothers told me : “We’ll surely find some corn.”
We went to the fields and we found there some corn
but the darkness came with her silver moon.
We were then so cold, and we were so tired
We knocked on a door with a silver knocker.
A man welcomed us, said : “to change is to die” on closing his fist on his iron chopper.
Of my salty dreams I only remember the heat of the corn and the cold of the silver.
A man welcomed us, said : “to change is to die.”
A man welcomed us, said : “to change is to die.”
Brussels, April 2013
TROIS IMAGES DE MAGALI
© Klarthé, Vernouillet 2017
Rue du Midi
À la recherche de quelque ouvrage à même de tromper l’ennui de ce dimanche,
je parcourais de façon alphabétique les linéaires poussiéreux
d’un vieux bouquiniste du centre de Bruxelles.
Apollinaire, Aragon, Baudelaire, Blake, Borges, Bukowski, Burroughs…
La porte de la boutique s’ouvrit
et parut une jeune femme coiffée d’un bonnet de laine lilas.
Elle s’appelait Magali.
Rue Philippe de Champagne
Dans la petite rue Philippe de Champagne, non loin de la rue du Midi
Adossé à une porte de garage en PVC, j’embrassai Magali.
D’abord au coin des lèvres puis, sentant ces dernières s’entrouvrir,
J’entamai un réajustement axial auquel elle répondit de façon synchrone.
Deux gamins passèrent, lançant quelques propos salaces.
La main de Magali descendit la mienne à hauteur de ses fesses.
Je plaquai son bassin et accueillit le contact de sa poitrine,
Plusieurs fois, nous faillîmes déchoir de cet équilibre instable.
Respirant le même souffle, jouant des mêmes eaux.
Bruxelles pleuvait sur nous à grosses gouttes tièdes
qui, ruisselant de nos cheveux, participaient de façon
sacramentelle à notre commerce amoureux.
Le jeu de nos mains devint sauvage et savant
attirées par la chair, empêchées par l’étoffe,
guidées par d’étranges tropismes et d’impérieux signaux,
nourrissant leur désir du plaisir qu’elles procurent.
Dans la petite rue Philippe de Champagne, non loin de la rue du Midi
Adossé à une porte de garage en PVC, j’ai baisé Magali.
These Violent Delights Have Violent Ends
Oh Magali,
Je ne sais plus qui tu es
Ni d’ailleurs qui je suis.
Magali,
Nos baisers n’en sont plus
C’est foutu.
TROIS REGARDS SUR ARLEQUIN
© Klarthé, Vernouillet 2015
Mon nom est sorti d’Atella, a passé les Abruzzes.
Mon costume rapiécé et mon visage noir
ont franchi les rizières padanes,
sont connus des barbares
et de toutes les principautés d’Italie.
Seule ignore qui je suis
celle que je tins dans mes bras,
qui ne me fit Arlequin
que pour être Colombine.
Bruxelles, 19 août 2015
Plus noire que le noir des Enfers,
ma vie vaut bien moins qu’un sequin.
Je taquine les citadins,
je chaparde et je rapine.
Afin de calmer ma misère,
plus noire que le noir des Enfers,
je bois l’hypocras et m’endors.
Mes rêves sont mon seul athanor.
Colombine, que veux-tu de moi ?
Ne vois-tu pas ma déchéance ?
N’entends-tu pas ces médisances ?
Colombine, mon étrangère,
plus belle que le noir des Enfers,
plus douce que le noir des Enfers,
plus noire que le noir des Enfers.
Bruxelles, 1 novembre 2019
Voici le sinistre Arlequin
au costume rapiécé
au visage sans traits
Saltimbanque fantôme
sans âme et sans histoire
Tes chemins sont les rires
d’une foule distante
Tes sommeils sont les rêves
de ses enfants battus
Ta vie est de carton, de vents et de tissus.
Bruxelles, 29 juillet 2015