Ce midi, au guichet d’information d’un temple com­mer­cial, je dois rece­voir une nou­velle carte me per­met­tant de sortir du parking. Une famille est devant moi. Je devine le père, la mère et leur petit garçon. Je devine aussi un pro­blème de réduc­tion sur un produit, que la cais­sière n’aurait pas pris en compte.

Bon. J’attends mon tour. La valeur d’une civi­li­sa­tion se mesure à la gran­deur de ses épreuves initiatiques.

Le ton monte. Ce qui suit m’impose de pré­ci­ser que la famille devant moi est d’origine maghrébine.

Soudain, la pré­po­sée fait un pas de côté pour me mettre en ligne de mire et m’intime :

– Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

L’homme me regarde inter­lo­qué. Tout aussi inter­lo­qué, je demande à l’employée de finir avec ce client.

– J’ai fini avec lui !

L’homme fait un pas de côté aussi pour me laisser la place et je montre ma carte de parking inopé­rante. Tandis que la femme me cherche une autre carte, il précise en me sou­riant : “Je préfère vous laisser passer, notre affaire risque de durer un certain temps.”

Entendant cela, la femme se redresse vio­lem­ment, me jette ma nou­velle carte de parking sur le comp­toir et lui lance d’une voix étran­glée : “Va à la Mecque, toi!”

Son visage est blanc. Elle le regarde dans les yeux. Que se passe-t-il dans l’esprit de cette petite femme aux cheveux gris ? Qui voit-elle dans cette famille ou dans cet homme ?

Je prends mon ticket et remer­cie l’homme. Sa femme et son fils se sont éloi­gnés dans la galerie. L’employée est tou­jours là, tendue comme un piège, et lui relance “Alors, t’es pas parti?! Allez, vas-y, à la Mecque!”

Et lui de répondre : “Je n’irai pas cette année : dans une dizaine d’années seule­ment. Aller à la Mecque, j’en rêve et c’est un rêve que je réa­li­se­rai. Puissiez-vous avoir de telles rêves Madame et, au réveil, la cer­ti­tude que vous les réaliserez.”

Et moi de noter cela dans mon carnet avant de nourrir le dieu parking de ma petite offrande de carton.

Alain Van Kerckhoven